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Mon histoire - Part. 1

L'enfance.

 

C'est de loin l'article le plus difficile que j'ai pu écrire, d'ailleurs ça fait des mois que je suis dessus. Peu importe l'angle et les mots que je choisisse, j'ai conscience de l'étonnement et du dérangement qu'il risque d'occasionner. En même temps, j'avais à cœur de pouvoir me libérer enfin du socialement acceptable et de l'opinion publique. Personne ne devrait avoir à s'effacer pour être accepté, quelque soit son handicap.

Cet article concerne mon enfance de 0 à 11 ans, jusqu'à la fin de l'école primaire. J'ai tellement d'anecdotes à vous raconter, tellement de souvenirs de cette période-là, mais j'ai dû me concentrer sur un ressenti global. J'espère ceci-dit que cette sélection vous éclairera sur la personne que j'étais et la manière dont j'ai pu vivre ces quelques années.

 

Once upon a time...

 

Je née en juillet 1987, une époque où l'autisme est encore considéré comme un trouble psychotique. Quant à mon diagnostic, il arrivera plus tard, beaucoup plus tard.

 

- Scolarité

 

Grâce à un développement psychomoteur précoce, j'intègre une école privée catholique à deux ans et demi. Élève appliquée, disciplinée et d'un excellent niveau de langage, je m’épanouis vite à travers l'apprentissage, du moins assez pour suivre les classes de moyenne et de grande section avec un an d'avance.

Sous mes airs de petite fille modèle, j'ai pourtant du mal à m'intégrer. Et pour cause, je passe la plupart de mes récréations au calme, à trier mes collections d'images et de codes barres, ce qui semble n’intéresser personne. Je ne reste jamais déjeuner à la cantine et je redoute d'ailleurs tous ces temps de pause parce qu'ils me forcent à une forme d'improvisation et de proximité avec mes camarades que je ne maîtrise pas. Je suis plus à l'aise avec le silence et la solitude. Malheureusement j'y ressens déjà une certaine pression sociale, voire d’interdiction par la gène qu'elle dégage auprès des autres.

 

Constatant une immaturité dans la gestion de mes émotions et de mes relations sociales, et ce malgré d'excellent résultats scolaires, l'école refuse mon passage en CP. Dès lors, toutes les certitudes sur lesquelles je m'étais construite sont remises en cause : la notion de justice, d'égalité, le mérite, la confiance.

Par conséquent, mon redoublement est compliqué, je me sens exclue, punie, et sans surprise, je m'ennuie.

 

C'est au CE2 que je retrouve enfin un équilibre. Alors que l'école m'offre un cadre doté de règles et d'exigences qui me rassurent, l'étude de l'orthographe et de la grammaire me permet de donner plus de sens au langage. Curieuse et très attentive au détail, seule la perfection m’intéresse. Je redoute l'erreur et l'échec que je n'autorise pas plus à mon entourage, qui de ce fait, s'avère extrêmement restreint. Une rigidité présente encore aujourd'hui.

Mon intégration s'améliore, du moins en surface puisque je partage tout mon temps scolaire avec deux de mes camarades. En revanche je suis vite perdue lorsqu'elles s'éloignent ou s'absentent. Seule, je commence à prendre le temps d'observer les autres, méprisant souvent les comportements que je ne comprends pas.

 

La fin de l'école primaire est aussi marquée par le début des réflexions et des moqueries. J'ai du mal à trouver ma place, à m'identifier à mes camarades avec lesquels il existe un décalage évident en terme d'affinité, d'apprentissage et de comportement. J'ai l'impression d'être plus proche des adultes, mais certaines de leurs réactions m'échappent tout autant. Je me pose aussi des questions face à l'image que je renvoie, celle d'une petite fille heureuse, douée, bien élevée... à qui l'on reproche d'être fayotte, solitaire et naïve.

Mes premières stéréotypies sont vite remarquées et critiquées par le corps enseignant, en revanche, elles ne seront jamais considérées comme telles.

 

- Sport

 

Je commence la danse classique à l'âge de trois ans. J'aime ce sport avec lequel je partage de belles valeurs, mais je subis une hyperactivité qui me force à bouger plus, pour contrôler mon stress.

 

C'est pourquoi 3 ans plus tard, je me dirige vers la gymnastique artistique. La passion opère rapidement pour son aspect acrobatique et les sensations qu'elle procure, cependant mon intégration est un cauchemars. Je subis la méthode roumaine des années 90 : les réflexions désagréables, les cris et les reproches à répétition des entraîneurs, le regard pédant des meilleures gymnastes, les étirements dans les pleurs et l'exclusion des plus faibles... Car contrairement à mes facilités scolaires, je ne dispose d'aucune pré-disposition pour cette nouvelle activité. En plus de ça, sept ans c'est tard pour débuter.

Sous la pression constante des détections et du retard à rattraper, je me donne corps et âme, douze heures par semaine. À ce moment-là, j'entretiens vraiment une relation particulière avec ce sport, que j'aime autant que je souffre. Cette douleur, je prends l'habitude de la repousser, jusqu'à ce qu'elle devienne ma norme, ma référence à l'effort.

 

Après un voyage de trois semaines en Roumanie avec la sélection du centre Nadia Comaneci, le médecin s'inquiète de l'évolution de ma scoliose. Mes parents proposent alors aux dirigeants de renouveler ma licence à condition de réduire le nombre de mes entraînements de manière à pouvoir cumuler la kiné et porter un corset. La proposition est refusée, je quitte le club en septembre 97.

 

Les premiers mois sont difficiles, le manque est réel. Je n'ai pas l'habitude de me retrouver chez moi si tôt le soir et j'ai du mal à profiter d'une vie de famille qui m'inspire bien moins que de marcher sur les mains. Je passe alors des semaines à supplier ma mère pour intégrer un nouveau club, moins strict mais tout aussi compétitif.  À l'usure, elle finit par céder..

Je me souviens de ce soir de novembre comme si c'était hier, et du frisson lorsque j'ai découvert cette grande salle qui sortait de nulle part. Un praticable neuf, des tapis et quelques agrès.. je respirais à nouveau. J'avais bien conscience de débarquer d'un quatre étoiles au centre ville au camping rural, conscience que ma progression y serait plus limitée, mais j'avais retrouvé du calme et de la sérénité.

 

- Vie familiale

 

J'habite une maison neuve en région bordelaise, entre vignes et forêt. Famille classique, un chien, un chat, des poissons rouges.. La semaine à l'école, le soir à la gym et le dimanche en balade.

Je reçois une éducation pudique et matérialiste, dont je rejette très tôt toute forme de contact affectueux. Pas de câlins, pas de je t'aime, pour autant, je ne manque de rien.

 

Puis né mon frère. Ce petit être bruyant réquisitionnant désormais l'attention et l'amour de MES parents, tout en gagnant peu à peu du terrain sur MON espace vital. À ce moment-là, je m'interroge sur ma place au sein du foyer et la taille des barrières que je vais devoir ériger pour protéger un territoire à l'avenir menacé. Pas question de partager quoique ce soit, surtout pas avec l'ennemi.

Sans trop de surprise, aucun lien fraternel n'est véritablement construit. De par ma méfiance, ma difficulté à tolérer le changement ; des conséquences des injustices dont font part mes parents également. En revanche, j'entretiens une relation presque exclusive avec ma mère qui représente à elle seule tous mes repères ; un rapport d’appartenance, de possessivité, dans une forme de dépendance sur laquelle il est difficile de mettre des mots. Elle est ma bulle, mon oxygène. À contrario, la distance se creuse un peu plus chaque jour avec mon père, dont l'humour et l'ironie me semblent encore aujourd'hui débarquer d'une autre planète.

 

Avec la colère, mon caractère s'affirme : je me montre orgueilleuse, et capricieuse. Je m'agace aussi face à l'intolérance des adultes qui renvoient systématiquement ce qu'ils ne comprennent pas au fruit de mon imagination. Nombre de mes traits autistiques - dont j'ignore encore qu'ils le sont, sont ainsi remis en cause : ma perception du goût de certaines odeurs, mon irritation pour la moindre onomatopée, mon exaspération face au seul son de la respiration, ma fascination pour les détails, le décompte automatique... les exemples sont si nombreux.

Ma mémoire est remise en cause elle-aussi. Certains de mes souvenirs semblent surgir de trop loin, et surtout de manière trop précise pour être considérés comme tels. La frustration m'en donne encore des frissons.

 

À cette époque, tout ce que je ressens, ce que je vois, ce que j'entends, tout ce que je perçois me semble tellement différent de ce que mon entourage connait. Nous vivons dans le même monde, sans pour autant l'être, sans en partager les codes, ni les clés. Sans même admettre l'existence d'un parallèle au combien différent.

Malgré tous mes efforts, je comprends qu'il va m'être difficile de m'y faire une place. Je ne suis pas sûre d'avoir envie de ressembler à ce que je vois non plus. Mais j'ai besoin de faire les choses bien, et je suis assez docile pour apprendre à réagir en fonction des attentes et des besoins des autres, peu m'importe le prix, peu importe ma liberté.

 

Je finirai sur un souvenir, celui d'une image qui me revient fréquemment lorsque je me sens perdue, dépassée par la situation et débordée par mes émotions, une image au combien représentative de cette période.

Je me retrouve alors seule, debout, immobile, nue.. et terrorisée. Autour de moi, des enfants s'agitent dans un mouvement anarchique, incontrôlable. À l'extérieur de la tempête, des adultes se baladent, comme si rien n'arrivait, comme si tout ceci n'existait que dans ma tête. J'aimerai me cacher, m'enterrer, hurler, mais rien ne sort. Je suis prisonnière de mon propre corps, captive de leur danse. Je donnerai tout pour me réveiller mais mes yeux sont déjà ouverts, je ne rêve pas, je vis.

 

To be continued...

 

N'hésitez pas à me laisser un commentaire sous ce post, pour exprimer votre ressenti à la lecture de cet article. Et si vous avez des questions sur l'autisme à cette période de la vie, et notamment sur le syndrome d'Asperger, c'est le moment de les poser. J’essayerai d'y répondre avec la plus grande attention.

 

Elize

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Commentaires: 10
  • #1

    Marieke (vendredi, 08 mars 2019 13:10)

    Merci pour cet article intéressant. Nous même concernés par cette situation avec notre enfant, nous voyons cette différence. Heureusement, pour nous le diagnostic est posé. Cela sera peut être plus facilement acceptable pour les autres.

  • #2

    Esme (dimanche, 10 mars 2019 12:39)

    Même histoire mais moi je suis la maman de cette petite fille que j adore et avec qui je n arrive pas à communiquer. Très difficile pour les 2 cas . Il faut garder surtout en tête l amour sans faille malgré tout .Bon courage et belle vie à venir. Bises à toi

  • #3

    Elize Dulam (dimanche, 10 mars 2019 13:08)

    Bonjour Esme. Merci pour votre retour. Gardez en tête que, dans notre monde à nous, communiquer n'est pas une nécessité.. mais je peux comprendre votre frustration. L'essentiel, c'est qu'elle se sente aimée et protégée, et vu votre commentaire, je n'ai aucun doute là-dessus. Bon courage à toute les deux !

  • #4

    Johanne (dimanche, 10 mars 2019 15:14)

    Bonjour Élize, votre histoire est très intéressante et touchante je vous encourage à continuer de parler de cet handicap tellement peu connu, qui malheureusement est une vraie souffrance. Vous le savez je suis moi même maman une ado qui est aspergher... bravo pour votre blog. A très vite jo

  • #5

    Elize Dulam (vendredi, 15 mars 2019 17:46)

    Merci Johanne pr vos encouragements. J’ai encore tellement de choses à raconter.. L’article suivant portera d’ailleurs sur l’adolescence, une période au combien compliquée pr moi. J’espère que vs y trouverez 2-3 clés pr vous aider a comprendre Daphné. À très bientôt �

  • #6

    Déborah (vendredi, 05 avril 2019 16:21)

    Je découvre ton blog, suite au commentaire sur l'image de Marie Crayon (Facebook), dans ton récit je me retrouve, moi aussi je me suppose asperger, mon père n'a jamais été présent non plus car selon lui je n'étais pas normale et surtout pas un mec. Après maintes recherches et discussion sur forum aspies. Sauf que je ne suis pas HP, j'me sens plutôt neuneu, avec des pertes de mémoires de plus en plus courante. J'ai une fille qui est je pense autiste, les démarches sont en cours, sauf que elle c'est de l'autisme avec les gestes qui vont avec (flapping, marche pointe des pieds, retard). J'aimerais savoir si tu as payé pour ton diagnostique ? Je viens d'apprendre que pas loin de chez moi, y a un neuropsy qui connait l'autisme. J'ai 30 ans et j'hésite car cela a un coût (250€ chez lui), mais j'aimerais tellement prouvé aux membres de ma famille que mon mode de fonctionnement ce n'est pas pour les "faire chier".

  • #7

    Elize Dulam (vendredi, 05 avril 2019 16:33)

    Slt Déborah. De nombreux autistes utilisent des gestes plus socialement "acceptables" que ceux que vous décrivez pour gérer leur anxiété, surtout si l'entourage les a bridé: arrête de te balancer, tiens toi correctement, etc..
    Les diagnostics sont gratuits au CRA, mais payant dans le privé. Renseignez-vous bien sur le parcours de votre neuropsy, car il y a malheureusement bcp d'arnaques dans le milieu. Un diagnostic sérieux et complet coûte aux alentours de 600 euros ( tests du psy ou neuropsy spécialisé + test de QI + consult orthophoniste + consult médecin pour officialiser le diagnostic ). Et bon courage dans vos démarches !

  • #8

    Laure (Kangué) (lundi, 29 avril 2019 13:24)

    Tu me reconnaîtras... c’est le pseudo que je donne à toutes les personnes inconnus qui ne font pas et ne feront jamais partis de mon entourage proche... Je comprends tout... avec des différences mais aussi avec des ressemblances particulières et notamment le rapport aux autres a l’ecole, les sentiments et émotions ressenties, la complaisance et la volonté de perfection, la relation avec ma mère qui était aussi mon pilier, ma terre, mon ciel et la seule personne à qui j’ai toujours eu confiance. Mon père souvent absent, que je considère comme un étranger, encore à ce jour et qui me heurtait du fait de sa seule présence...
    merci Elize pour le partage de ton expérience qui permet de mieux faire comprendre...

  • #9

    N_u_o_y_m (mercredi, 22 janvier 2020 22:47)

    Je suis effondrée à la lecture de ce texte... Parce que tout est si juste..
    J'ai envie de hurler à toutes ces personnes que non, je ne suis pas "trop/bizarre/pas sociable/vexante/chiante/difficile/capricieuse" et j'en passe...
    Merci Elize, encore une fois... Merci du fond du cœur pour cette ouverture infinie. Tu n'imagines pas à quel point ta présence et tes témoignages me sont précieux.

  • #10

    Christophe (jeudi, 07 mai 2020 16:08)

    Bonjour Elize,
    A bien des égards, ton histoire ressemble à la mienne. C'est à 35 ans que j'ai découvert mon autisme, personne à l'exception de ma mère n'avait envisagé cette hypothèse. Je n'ai que très peu de souvenir de l'école élémentaire, je sais seulemement que j'étais différent. C'est au collège et au lycée où les conventions sociales ont plus d'importance que j'ai connu mes expériences les plus douloureuse. L'exclusion, les moqueries, l'incompréhension... Au niveau scolaire, j'excellais dans certain domaine alors que je pouvais avoir des résultats catastrophiques.
    Après avoir découvert mon autisme, j'ai comme toi fait le choix de parler via un blog. Ca me fait du bien personnellement mais surtout plus j'en apprends sur les préjugés ayant court sur l'autisme, plus je suis en colère et ressent l'impérieuse nécessité de faire part de mon expérience dans l'espoir d'être utile à d'autre.
    Merci pour ce témoignage.