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Ironman 70.3 Pays d'Aix. Compte Rendu de course

Le calme avant la tempête...

 

5h Dimanche 13 mai. Le réveil sonne, j'ai bien dormi. J'avale mon petit dej habituel méthodiquement préparé la veille. J'ai le ventre noué par la peur et l'excitation depuis quelques jours déjà. Tatouages sur la peau, maillot de bain, combi, puce, tongues... Je quitte l'appartement, direction Peyrolles.

 

6h30 10 degrés. Je me gare au lac et me dirige vers l'arche noir avec mon sac streetwear. Nous sommes nombreux à nous partager la route, français, étrangers, c'est impressionnant. Chacun essaie de se détendre à sa manière. Certains se muent déjà dans le silence, d'autres échangent des blagues - pourries.

Arrivée dans le parc, je vérifie la pression de mes pneus et dépose un bidon isotonique. Un speaker interview les pro. L'ambiance est sympa. L'excitation monte.

Première épreuve, l'attente interminable pour aller faire pipi... Je tente la file d'attente près du parc mais j'abandonne au bout de 5min. Je retente en face de mon sac bike. Même chose. Dernière tentative près du lac. J'aurai mieux fait de pisser dans ma combi !

C'est le moment de s'attacher les cheveux, une couette à l'arrache... et de déposer le sac streetwear.

Certains partent s'échauffer dans l'eau. J'y mets mes jambes histoire de m'acclimater. Le lac est à 19 degrés.

 

7h30. Je retrouve Greg de la Team Airofin rencontré la veille, dans le sas 39-40, estimation de mon temps de natation. Il me rassure et me conseille sur mon placement dans l'eau, jusqu'au départ. Des applaudissements retentissent, les pros partent. L'attente est longue, j'ai froid et les cailloux me font mal aux pieds. Plus je me rapproche de l'arche, plus mon cœur bat fort. Un dernier gel, et je me perds dans ma bulle, au son régulier des bips du rolling start.

 

8h15. C'est mon tour. Je pars à l'extérieur, comme prévu, tranquillement. Mais très vite, je me rends compte que je n'arrive pas à respirer, je suis essoufflée, tétanisée. J'intercale quelques mouvements de brasse à mon crawl. L'eau est opaque, il y a du monde, je panique, impossible d'avancer. À ce moment-là, je me rends compte que je paie simplement mon manque d'expérience...

Une bénévole approche avec son canoë et me demande de m'accrocher au bout. Je m'effondre en larmes, le souffle coupé. Elle me parle, me rassure, me conseille. Quelques minutes plus tard, je repars.

Je mets bien 500m à me poser, puis j'essaie de profiter du moment, d'allonger mes mouvements, de me concentrer sur ma glisse. Rien n'y fait, je nage mal, en zigzag, un coup dans la ligne, un coup sur un voisin, un coup dans un canoë... Bref, ce 1900m me semble tellement long !... La natation qui devait être mon point fort aura été... catastrophique !

8h57 Heure ressentie 16h. J’arrive enfiiiin au tapis. Je suis heureuse de ne pas avoir eu froid car je sais que je supporte très difficilement ça. Je n'ai aucune idée de mon temps, et à vrai dire, vu le désastre je m'en fout. Je trottine alors pour limiter les dégâts en mangeant un gel et en détachant ma combi. Des supporters sont là, des familles,  ils nous encouragent, c'est vraiment magique ! Je croise un athlète qui m'interroge sur l'heure, sa monte a planté. N'ayant pas de gps étanche, j'en ai aucune idée. Je croise Steph en trifonction Airofin, nous nous encourageons avant de se séparer pour la première transition. La première de ma vie !

J’attrape mon sac bike et retire ma combi du premier coup. Un bénévole m'indique la tente féminine. Je m'essuie rapidement et m'y change presque complètement. J'enfile un cuissard, un débardeur, un maillot et ma veste thermique. Chaussettes, chaussures.

Et c'est parti pour le parc à vélo où je repère directement le mien, par sa couleur atypique. Première victoire !

 

 

9h10 9 degrés. Il faut bon. Le ciel est gris. J'allume mon gps pour 90km en montagne et 1200m de dénivelé. Les paysages sont magnifiques, de la roche, des fleurs jaunes et des coquelicots fleurissent le long de la route. C'est nouveau, c'est beau. Je kiffe le moment. Mes jambes sont bien, malgré un petit coup de barre. C'est la première fois que j'enchaîne du vélo en sortant de l'eau. Et heureusement, vu que j'ai probablement éclaté le record de la T1 la plus longue ! Me reviennent alors ces semaines folles où je m'entrainais près de 16h hebdo, et je me rappelle qu’aujourd’hui, je ne pars "que" pour 7h de course, que c'est rien, que mon corps peut le faire, que j'en suis capable.

Je croise Matt qui me demande comment ça s'est passé, nous papotons quelques minutes. Il me rassure, m'encourage et me conseille, puis part devant.


Km20 8 degrés. Après plusieurs faux plats, la première vraie bosse arrive. 4km, 100m de d+ avec des portions à plus de 10%. Puis la seconde. Ça chauffe les cuisses, mais je me sens facile. Les jambes sont légères, je mouline, je double, je suis prête physiquement !

Je prends beaucoup de plaisir dans les descentes aussi, je me sens à l'aise. J'attrape à la volée un bidon aux ravitos, des gels, une barre. Un bénévole me remet dans l'axe de la course, j'évite la chute.

Km40 5 degrés. Les températures chutent violemment. La pluie commence à tomber. À mon grand désarroi, elle s'intensifie très vite. Puis viennent la grêle, le tonnerre, les éclairs. Ma thermique n'est pas étanche... Mes cheveux goûtent dans mon cou, mes chaussettes baignent dans l'eau. Je commence à m'énerver, mais pourquoi j'ai laissé ce fichu coupe-vent dans mon sac bike ? Je sens que je vais payer l'erreur très chère.

Plus je monte et plus le brouillard s'installe, je suis rapidement trempée jusqu'aux os. Puis le vent se lève, des rafales à plus de 50km/h. J'ai tellement froid...


Km50 3 degrés. Il faut descendre jusqu'à Pourrieres. Les virages en épingles s'enchaînent sans la moindre visibilité. Les bénévoles sont rentrés à l'abri dans leurs voitures. L'eau ruisselle dangereusement sur la route, puis la boue, des coulées comme je n'en avais jamais vues. J'hésite dans mes trajectoires, crispée sur les freins. De toute façon, dès que je prends de la vitesse le froid me saisit douloureusement.

J'arrive enfin en bas, gelée, en larmes. J'essaie d'attraper un de mes bidons mais il m'échappe. Dommage pour le souvenir. Je retente avec le second, impossible de le sortir. Je tente alors de relativiser et de me dire que je ne suis pas une petite nature, que si la course n'est pas interrompue c'est qu'il n'existe pas de danger réel, que nous sommes tous potentiellement capables d'aller au bout... quelle innocence ! Je me demande bien si je suis sur un Ironman ou si j'ai signé pour une épreuve étrange de Survivor.

Je surveille mon cardio qui peine à monter. J'oscille entre 50 et 80 pulsations, loin de 125 battements du début de course. C'est trop peu, l'hypothermie me gagne.

Km60. Les secours semblent débordés. J'entends des sirènes sans arrêt, sans réellement comprendre l'ampleur de ce qui se passe autour de moi. Puis je commence à croiser des cyclistes sur le bord de la route, sous des couvertures de survie. Des vélos sont couchés dans le fossé. Plus j'avance et plus ces scènes affluent et me paraissent... incroyables.

Je m'arrête a mon tour demander une couverture en pensant continuer avec. Il n'y en a plus. J’ai tellement froid que chaque coup de vent me plante un coup de couteau dans le thorax. Un bénévole m'invite à me réchauffer dans son manteau, contre lui. Je sens l'eau couler sur ses vêtements et m'excuse mille fois pour le désagrément. Il me pardonne en souriant, impuissant et s'excuse de ne pas pouvoir faire plus.

Quelques personnes sont présentes en bas du col de Cengle et hurlent pour nous encourager. À leur passage, j'articule deux-trois mots, non sans mal, entre deux sanglots : " j'ai tellement froid ". Aussitôt j'obtiens un retour chaleureux et plein de compassion : " oh nan la pauvre ", " allez ma puce ça va monter ça va aller ", " accroche toi, pense à quelque chose d'agréable ".

Je garderai ce moment de douceur comme l'un des plus émouvants de toute ma course... Merci à tous ces gens qui ont su tant donner à travers si peu. Quand je pense à mon père sur Orange qui n'a même pas fait le déplacement...

 


Km70 30 degrés dans mon cœur. J'ai un col à monter. En réalité, je ne suis pas sûre qu'il s'agisse DU col, je ne sais plus trop où j'en suis. Peu importe, je suis heureuse de me réchauffer et ça passe comme une lettre à la poste. 5km d'ascension, un peu plus de 200m de dénivelé. Le cœur remonte quelques secondes à 110 pulsations.

En revanche, dans la descente, c'est l'horreur. Il pleut toujours à torrent. Des groupes de plus d'une vingtaine de participants sont stoppés en bas des virages les plus dangereux, agglutinés sous des couvertures de survie. Certains ont dû glisser. De plus en plus de monde s'arrête. Je ne comprends pas vraiment ce qui se passe... il n'est pas question d'arrêter. Et pourtant, j'ai du mal à changer de vitesse, mes doigts sont anesthésiés. Ça devient compliqué aussi pour freiner, puis pour tenir le guidon. Des crampes me jettent des décharges électriques dans le haut du dos. Peu importe. Toujours en larmes, je double du monde, tous ceux qui ont décidé de descendre à pied, par sécurité. Je comprends d'ailleurs leur choix.

Je jette encore un coup d'œil sur ce gps pas étanche, en m'interrogeant. Je me dis que si elle ne me lâche pas en route, je pourrai toujours finir par l'utiliser en lac ! 50 battements par minute, je dois rester vigilante.

Km80 -40 degrés ressentis 13h. Les effets du froids continuent de se faire péniblement ressentir. Mes quadriceps commencent à cramper, d'un côté, puis de l'autre. Je comprends que mon corps m'envoie de sérieux signaux de détresse. Je tremble tellement que j'ai du mal à garder le cap, mes dents claquent, elles me font mal. J'ai du mal à me concentrer. Je reste fixé sur un seul objectif : terminer le parcours pour pouvoir me réchauffer sur la course à pied.

Je retente un dernier arrêt devant les ravitos pour récupérer une couverture de survie. Les secours sont partout ! Je parviens à articuler ces mots qui tournent en boucle dans ma tête depuis un moment déjà : "J'ai tellement froid". Quelqu'un me conseille alors de rentrer me réchauffer dans une salle, juste en face. J'essaie de descendre de mon vélo pour aller chercher ce fameux papier alu, en insistant bien sur le fait que je vais revenir, que je ne veux pas abandonner. Mais je suis tellement crispée que je reste "collée". Je sens alors quelqu'un m'attraper sous les bras et me soulever, pendant que quelqu'un d'un autre pose mon vélo avec les autres, des dizaines et des dizaines d'autres...

 

J'arrive dans la salle des fêtes du Tholonet, remplie d'athlètes en larmes, frigorifiés, certains sont blessés. Je reste complètement choquée par leur nombre, par ce qui se passe ici.

On m'apporte une couverture de survie, victoire ! Puis un café et de l'eau chaude mais je tremble trop pour porter le verre à ma bouche. Le café finit lui aussi sur mes genoux. Un type de la Croix Rouge me demande de m'asseoir, mais je n'en ai pas envie, mes jambes vont bien. Je refuse à plusieurs reprises et décide de camper debout près de la porte, histoire d'être sûre de pouvoir repartir. Un médecin intervient et ne me laisse pas le choix. Elle prend ma température, 34.8 degrés, et ma sat, normale. Mes tremblements l'inquiète.

Posée sur une chaise, je prends le temps d'échanger quelques regards avec les autres athlètes présents dans la salle. J'y lis tellement de tristesse, d'impuissance et de déception... Les yeux sont rouges, cernés, mouillés. Les larmes inondent les joues. C'est un spectacle complètement surréaliste !

Une nenette dans le même état que moi s'approche, me prend dans ses bras et commence à me frictionner. Elle ne parle pas français mais son visage en dit long sur sa gentillesse. J'essaie de la remercier puis demande au médecin si je peux repartir.

Seconde prise de température, toujours sous les 35 degrés. La réponse est catégorique : NON. Je comprends que je vais devoir obéir maintenant.

On m'installe un brancard au fond de la salle, me couvre la tête avec une veste et m'aide à retirer mes vêtements, mes chaussures. Je me retrouve en cuissard brassière allongée là-dessus, sous ma couverture de survie. Un jeune pompier me ramène sa veste de feu et vient me rassurer. Je ne comprends pas vraiment ce que je fais là, je ne suis pas blessée, moi. Alors qu'à ma droite un trauma crânien attend, de l'autre côté, un trauma costal. Des filles qui souffrent, perfusées, et qui repartiront en ambulance.


13h50. Des camionnettes et des bus arrivent pour nous évacuer. J'essaie de réfléchir aux délais, ma tête est toujours dans la course. Mais je me rends compte que personne ne repart. C'est terminé. Je ne réalise pas encore l'échec, trop d'adrénaline, trop de jus dans les pattes.

Tout le monde est déposé à l'arrivée. Je me retrouve pieds nus et presque à poil en plein centre ville d'Aix. Chaussures dans une main, casque et vêtements trempés dans l'autre. Grand moment de solitude, je me remets à pleurer. Ma voiture est à Peyrolles, à 20km de là, et je ne sais pas où sont les autres, Greg, Chris, Matt, team Airofin.

Je récupère mes sacs streetwear et bike dans la zone Afterfinish mais je n'arrive pas à tout porter. Je pose ma couverture par terre, désespérée, et j'attends... Il pleut à plein temps, rien n'est abrité. Peu importe, je ne sens plus ni l'eau, ni le froid sur ma peau.

Une bénévole arrive alors vers moi avec un tee-shirt bleu. Elle me demande de l'enfiler et de me couvrir. Je remarque qu'il s'agit du fameux tee-shirt Finisher... Et je m’effondre complètement. Je lui explique que je ne le mérite pas. C'est à ce moment-là que je réalise. J'ai abandonné mon Ironman. J'ai échoué...

 

14h30. Je pars finalement m'habiller dans une tente de la Croix rouge. Je récupère mon téléphone. Mon amoureux s'inquiète, il a du me suivre sur le tracker. Mais je n'ai pas la force de lui confirmer mon échec.

Baladée de zone en zone, je cherche une solution pour récupérer ma voiture. Aucune navette n'est organisée, un comble vu le prix du dossard ! J'arrive dans la zone Finisher où j'espère pouvoir compter sur la solidarité. Deux athlètes niçois, Yevgueniy et son ami, acceptent de me déposer. Merci infiniment à eux.


18h. Je récupère mes covoit et mon vélo. Retour à Bordeaux, chauffage à fond. J'ai maintenant 7h pour pleurer toutes les larmes de mon corps, justifier mon échec et donner des nouvelles. Mais j'ai honte. Je n'ai qu'une envie, c'est de sortir de la voiture et d'aller courir... un semi. La frustration, ce sentiment d'inachevé...

Je finis par glisser un post rapide sur Instagram, puis un simple "J'ai pas fini..." à ma moitié. Je reçois rapidement plein de petits mots, gentils, doux et plein de tendresse. Je prends le temps de chacun les lire, les relire. Mais je ne trouve pas les mots pour répondre.

 

Dimanche, comme près de 800 autres athlètes, j'ai perdu contre Dame Nature. Un froid saisissant, violent, douloureux, ...immobilisant. Pourtant, j'ai reçu en retour plus de chaleur humaine que je n'en aurais jamais imaginé.

Dimanche, j'ai perdu une médaille, mais j'ai gagné une leçon d'humanité.

 

Elize.

 

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Commentaires: 3
  • #3

    Elize (vendredi, 08 juin 2018 17:53)

    Merci à tous les deux pour vos retours ! Et puis Warrior c'est toujours mieux que rien, à défaut d'être Ironman ;-)

  • #2

    Emeline (jeudi, 24 mai 2018 09:04)

    Bravo ma puce , j'ose à peine imaginer le quart de ce que tu as vécu.
    Ton article m'a fait pleurer. Tu est une warrior.
    L'essentiel c'est d'avoir essayer.

  • #1

    mayence (vendredi, 18 mai 2018 12:31)

    bravo tu es une Warrior :D